
Rentrer
Le Président de République a parlé. Nous sommes au 1er jour d’une sévère lutte contre le COVID-19, ce coronavirus venu de Chine et qui n’en finit pas de se répandre, de pays en continent.
Alors, ce matin, j’ai donné mon dernier cours de français (langue étrangère) avant d’entrer en confinement. J’ai dit au revoir à mes étudiants venus du monde entier. Enfin, à ceux qui restent en France car la plupart des Américains sont déjà repartis, à toute vitesse. Certains m’ont annoncé hier qu’ils étaient obligés de rentrer précipitamment aux Etats-Unis. Une obligation de leur université, ou du Président Trump. Ce n’était pas très clair. D’autres étudiants ne se sont pas manifestés. Probablement trop occupés à trouver un billet d’avion, boucler leurs valises, ne rien oublier derrière eux. Ils ne reviendront pas. Leur semestre en France s’est interrompu sans même un adieu.
Louise, ma fille de 11 ans, est rentrée de l’école son sac à dos de CM2 plein à craquer : 2 classeurs de bureau, une pochette A4 remplie à ras bord, une très longue liste de devoirs. Ce sera désormais l’école à la maison ! Pour elle, pour moi. Son père travaillera sur le balcon, comme souvent, pour ne pas nous enfumer.
Etrange expérience qui devrait durer deux semaines, ou quarante jours, si l’on écoute certains médecins. On verra bien.
J 1 Vendredi 13 mars 2020
Et à Singapour ?
Une amie m’appelle de Singapour. Ses enfants continuent d’aller à l’école, les parents de travailler au bureau. Seules quatre personnes touchées par le Covid-19 ont été mises en quarantaine. Personne ne porte de masque. Elle ajoute :
– Si l’on est bien portant, cela ne sert à rien.
– Ah bon ?
Et de m’expliquer :
– « On est passés du statut de pestiférés à celui de là où il fait bon vivre. Les habitants s’étaient transformés en spationautes ! Alors le premier ministre a tapé du point sur la table, il y a déjà un mois :
– Arrêtez de dévaliser les supermarchés ! De faire des stocks de papier toilette ! Le monde entier vous regarde, vous êtes ri-di-cules ! Et tout le monde a obéi. Mais les Français, comme d’habitude, se croient sur leur planète ! »
Cette amie est française, argentine, marié à un Canadien. Voyagiste, elle s’inquiète surtout de perdre son emploi, comme plusieurs de ses collègues. Et elle s’énerve du message de l’extrême droite lepéniste face au virus venu de l’étranger qui passe les frontières, contagieux, dangereux. Une heureuse opportunité pour la propagande xénophobe.
Paris. Ce soir, nous sommes passés au stade 3. Plus de sorties au restaurant, de discussions aux cafés, de cinéma. Seuls les commerces alimentaires et pharmacies resteront ouverts. On patiente, curieux de cette expérience à laquelle on assiste en spectateurs.
J 2 Samedi 14 mars 2020
Un petit tour et puis s’en vont
Premier tour des élections municipales. Je comptais aller voter, avec un bulletin de vote reçu par courrier, et mon propre stylo (suivant les consignes). Mais plus la matinée se déroulait, plus j’hésitais. A la une d’un journal, des médecins appelaient à ne pas aller voter. A qui faire confiance ? Finalement, pas très rassurée, j’ai accompli mon devoir de citoyenne dans une mairie quasi déserte.
Ma mère, partie chercher le soleil en Espagne, est désormais confinée dans un studio avec vue sur mer ! Un cordon sanitaire empêche même l’accès à une plage déserte. Ma belle-fille, étudiante à Madrid, s’est installée in extrémis chez une amie pour y vivre le temps du confinement.
Aujourd’hui, nous devions passer la journée avec une amie et sa fille à l’Opéra Comique pour leurs Portes Ouvertes annuelles : événement annulé !
Le directeur de l’école de Louise essaie de recenser tous les enfants de médecins, infirmières et infirmiers afin d’organiser leur accueil, dès demain.
Les résultats du 1er tour en pleine épidémie de Covid-19 sont tombés : il n’y aurait pas de second tour ! C’était bien la peine de passer outre mes craintes de mettre un bulletin de vote dans l’urne !
Enfin, ce soir, Louise m’a demandé de l’embrasser avant qu’elle ne s’endorme. J’ai refusé, de crainte de nous transmettre le virus. Alors, elle m’a demandé un câlin et j’ai posé ma tête sur son ventre, sans la regarder.
J 3 Dimanche 15 mars 2020
Sortie du métro, direction : université, bâtiment B. Sans voiture à l’horizon : situation rarissime, sans vélo frondeur, je traverse un large boulevard, le cœur léger, quand surgit de ma mémoire un refrain populaire : « A Paris, à vélo, … ». Puis, panne sèche : impossible de me souvenir de la suite, ni du début. Pourquoi ces mots, alors que la chaussée est étonnamment calme ? « A Paris, à vélo, la la la la la la la… » Cet air joyeux m’accompagne.
Voilà, la rentrée est faite. Septembre n’est plus. Quelques feuilles jaunissent et bientôt les élèves réciteront l’automne, des vers les plus simples à des poésies plus alambiquées. Pourtant, l’été perdure. Il est là, au petit déjeuner, mystérieux. Il est au salon ou dans une chambre. Il nous poursuit encore au bureau, sympathique.
Lundi matin, rencontre fortuite dans l’ascenseur avec une voisine au visage toujours empreint de tristesse. Après quelques années de salutations sommaires, nous parlons de la pluie et du beau temps quand, brusquement, elle me demande ce que je fais dans la vie.
Cette rubrique commence à l’envers, plus précisément, à rebours du calendrier scolaire, et dans la bonne humeur.
Hier soir, j’ai découvert dans un gros roman, un tout petit mot : sophi. Sans e, ni majuscule, tout nu : so-phi !